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Comment évolue la métacognition à travers l’âge ?
Lucile Meunier-Duperray,1,2 Audrey Mazancieux,3 Céline Souchay,1 Stephen Fleming,4,5,6 Christine Bastin,7 Christopher J.A. Moulin,1 Lucie Angel2
1 Univ. Grenoble Alpes, Univ. Savoie Mont Blanc, CNRS, LPNC, 38000 Grenoble, France,
2 Université de Tours, Université de Poitiers, UMR CNRS 7295 Centre de Recherches sur la Cognition et l’Apprentissage, Tours, France,
3 Université libre de Bruxelles, UNESCOG, 1050 Bruxelles, Belgique
4 Wellcome Centre for Human Neuroimaging, Institute of Neurology, University College London, London, UK
5 Department of Experimental Psychology, University College London, London, UK
6 Max Planck Centre for Computational Psychiatry and Ageing Research, University College London, London UK
7 GIGA-Cyclotron Research Center-in vivo Imaging, University of Liège, Liège, Belgium
Contexte et paradigme
Les participants à cette expérience ont été recrutés en 2022 et 2023. Certains ont passé l’expérience à la MSH-Alpes (sur le Campus de l’UGA), ou à l’Université de Tours, et d’autres en ligne.
L’expérience était composée de quatre courts exercices :
Dans un des exercices, vous deviez apprendre des paires de mots. Ensuite, vous deviez reconstituer les paires de mots précédemment vues en choisissant un mot parmi deux propositions.
Par exemple, on a pu vous présenter les mots « club » et « lait » dans la première phase. Puis, on vous représentait le mot « club » dans la deuxième phase et on vous demandait si le mot qui l’accompagnait était « lait » ou « lune ».
Cet exercice évaluait la mémoire épisodique faisant référence aux souvenirs d’épisodes de vie dans leur contexte[1]. Par exemple, si je vous demande ce que vous avez mangé au petit-déjeuner. Pour répondre, vous allez sans doute vous remémorer la scène, le lieu, les personnes avec qui vous étiez, votre état émotionnel, etc.
Dans un deuxième exercice, vous deviez répondre à des questions de culture générale en choisissant une réponse parmi deux propositions.
Par exemple, on pouvait vous poser la question « Quel peintre est le principal représentant du cubisme ? » en vous proposant deux choix de réponse : Picasso ou Rubens ?
Ainsi, nous évaluions la mémoire sémantique. Contrairement à la mémoire épisodique, cette mémoire est indépendante du contexte (on ne sait pas forcément quand et comment on a appris l’information)1.
Dans un troisième exercice, vous voyiez très rapidement deux cercles qui contenaient des points (voir Figure 1). Puis, vous deviez juger quel cercle contenait le plus de points.
Figure 1
Stimuli de la tâche de perception visuelle
Cet exercice permettait d’évaluer la perception visuelle, définie comme notre capacité à distinguer et différencier des objets[2].
Dans un quatrième exercice, vous voyiez très rapidement des suites de chiffres et de lettres. Il vous était demandé de les retenir afin de choisir parmi deux propositions la réponse correspondant à l’addition des chiffres suivie des lettres. Par exemple, si vous voyiez « 7A5N2 », la bonne réponse aurait été « 14AN ».
Ainsi, nous évaluions les fonctions exécutives qui se réfèrent aux fonctions de résolution de problèmes et qui nécessitent un contrôle cognitif[3]. Par exemple, ces fonctions sont impliquées lorsque vous lisez : vous devez retenir les mots précédents tout en restant attentif.ve pour que le texte global ait un sens.
Dans les quatre exercices et pour chacune de vos réponses, il vous était demandé d’évaluer la confiance que vous aviez en vos réponses sur une échelle allant de 50% (réponse au hasard) à 100% (très confiant.e).
Qu’est-ce que la métacognition ?
Au travers de cette expérience, nous voulions mesurer la métacognition. Le préfixe grec « meta » signifie « au-delà de », et le terme cognition vient du latin « cognitio » et se rapporte à la connaissance. Ainsi, le terme métacognition fait référence à notre capacité à évaluer et contrôler nos processus mentaux[4]. La métacognition est essentielle tout au long de la vie. Pouvoir évaluer nos capacités, savoir ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas, avoir conscience de nos difficultés nous permet de mettre en place des stratégies efficaces pour l’apprentissage et la mémorisation.
Ainsi, dans cette expérience, nous n’étions pas intéressés par vos performances en soi, mais plutôt par les jugements que vous en aviez. Autrement dit, nous voulions savoir comment vous vous évaluiez lorsque vous répondiez juste ou lorsque vous commettiez une erreur, et à quel point vous étiez précis dans vos jugements.
Problématique et hypothèses
Au total, 442 volontaires âgés de 18 à 79 ans ont participé à cette expérience. Nous cherchions à savoir si les capacités métacognitives évoluaient à travers l’âge.
Les précédentes recherches sur le vieillissement cognitif ont principalement porté sur les capacités de métamémoire (la métacognition liée à la mémoire). Ces études ont montré que les participants plus âgés étaient moins précis que les participants plus jeunes pour évaluer leur mémoire épisodique, alors qu’il n’y avait pas de différence entre les groupes d’âge pour la métamémoire liée à la mémoire sémantique[5]. Ce résultat suggère que la métacognition est composée de différents processus cognitifs qui seraient impactés différemment par l’âge. En d’autres termes, la métamémoire épisodique se baserait sur un processus cognitif affecté dans le vieillissement cognitif, alors que le processus soutenant la métamémoire sémantique serait préservé à travers l’âge.
Ce résultat a été de nombreuse fois mis en lien avec l’évolution des différentes mémoires à travers l’âge. En effet, les personnes âgées ont des difficultés à se rappeler des épisodes précis de leur quotidien, notamment des détails spatio-temporels de ces évènements. A l’opposé, le vocabulaire et la culture générale s’accroît ou reste stable à travers les âges. Ainsi, une personne âgée peut avoir des difficultés à se rappeler ce qu’il/elle a mangé la veille (cf. mémoire épisodique), mais se rappellera très facilement de tous les évènements importants de la Première Guerre Mondiale si il/elle est un.e passionné.e d’histoire (cf. mémoire sémantique).
Il a donc été proposé que le déficit de métamémoire épisodique serait lié au déclin cognitif de la mémoire épisodique. Autrement dit, la mémoire et la métamémoire reposeraient sur un processus commun, et ce processus serait sensible aux effets du vieillissement cognitif. Or, ce lien entre mémoire et métamémoire pourrait également être dû à une limite des mesures utilisées pour évaluer la métacognition.
Dans cette étude, nous voulions évaluer la métacognition dans différents domaines cognitifs, au-delà de la mémoire, en estimant les capacités métacognitives avec une méthode récente (i.e., un modèle hiérarchique Bayésien[6]) reconnu pour pallier certaines limites méthodologiques des études précédentes. Nous avions émis l’hypothèse que la précision des jugements déclinerait avec l’âge en mémoire épisodique, mais pas dans les autres domaines cognitifs.
Résultats
Les résultats ont effectivement montré que les capacités métacognitives déclinaient avec l’âge en mémoire épisodique, mais pas en mémoire sémantique, ni en perception visuelle. Nous avons également observé un possible déclin des capacités métacognitives relatives aux fonctions exécutives, bien que ce déclin ne soit pas assez fort pour qu’on puisse en tirer une conclusion.
Conclusion
Ainsi, cette expérience a montré que le statut de la métamémoire épisodique se distingue des autres domaines cognitifs lors du vieillissement cognitif. Plus les participants étaient âgés, et moins leurs jugements de mémoire épisodique étaient adaptés à la nature de leurs performances (i.e., juste ou fausse).
Figure 2
Le cortex préfrontal est représenté en rouge
Ce résultat peut être mis en relation avec les changements liés à l’âge observés dans le cortex préfrontal (en rouge sur la Figure 2). En effet, le cortex préfrontal est la zone du cerveau qui connait les modifications liées à l’âge les plus précoces[7]. Cette zone du cerveau est impliquée dans les capacités de raisonnement, de mémoire, ou encore de fonctions exécutives. Les changements de cette région peuvent donc expliquer certaines difficultés de mémoire observées chez les personnes âgées. Le cortex préfrontal soutient également les capacités d’introspection, dont la métacognition[8]. Ainsi, il pourrait avoir un processus commun entre la mémoire, la métacognition, et les fonctions exécutives, ce qui expliquerait les effets de l’âge observés dans cette étude.
Que retenir de cette étude ?
Tout d’abord, il est important de souligner que la cognition change au fil de l’âge, mais que ces changements ne sont pas forcément le signe d’un vieillissement pathologique (maladie d’Alzheimer, de Parkinson, etc.). Les recherches actuelles tentent de comprendre pourquoi et comment notre cognition évolue afin d’identifier les facteurs favorisant le bien vieillir.
Il nous arrive de juger nos processus mentaux en étant sous- ou sur-confiant. Cet écart entre ce que nous pensons de nos capacités et nos capacités réelles semble s’accroître avec l’âge lorsque nous jugeons certaines de nos habiletés cognitives. La métacognition nous permet, entre autres, de mettre en place des stratégies de mémorisation adaptées. Par exemple, une personne qui a conscience que ses capacités de mémoire décroient pourrait mettre des alarmes pour se rappeler de prendre ses médicaments. Or, si cette même personne a de plus faibles performances métacognitives, il/elle ne va pas mettre en place ces stratégies et risque d’oublier fréquemment de prendre ses médicaments. Il est donc important de garder en tête les limites de notre cognition tout au long de la vie !
Remerciements
Un grand merci à tous les participants de cette étude qui nous ont généreusement donné de leur temps dans le cadre de ce projet, et qui nous ont aidé à diffuser l’expérience dans leur réseau.
Merci à la MSH-Alpes et plus spécifiquement à Screen pour leurs ressources matérielles et de diffusion.
Merci aux contributeurs financiers, notamment à l’ANR et à l’EPS.
Enfin, merci à toutes les personnes qui ont contribué de près ou de loin à ce projet, et surtout à mes encadrants de thèse qui ont su m’aiguiller dans ce premier projet de mon doctorat.
[1] Tulving, E. (1972). Episodic and semantic memory. Organization of Memory, 1(381–403), 1.
[2] Lieberman, L. M. (1984). Visual Perception versus Visual Function. Journal of Learning Disabilities, 17(3), 182–185. https://doi.org/10.1177/002221948401700311
[3] Diamond, A. (2013). Executive Functions. Annual Review of Psychology, 64(1), 135–168. https://doi.org/10.1146/annurev-psych-113011-143750
[4] Flavell, J. H. (1976). Metacognitive aspects of problem solving. In The nature of intelligence (L. B. Resnick (Ed.), pp. 231–236). Hillsdale, NJ: Erlbaum.
[5] Devaluez, M., Mazancieux, A., & Souchay, C. (2023). Episodic and semantic feeling-of-knowing in aging: A systematic review and meta-analysis. Scientific Reports, 13(1), Art. 1. https://doi.org/10.1038/s41598-023-36251-9
[6] Fleming, S. M. (2017). HMeta-d: Hierarchical Bayesian estimation of metacognitive efficiency from confidence ratings. Neuroscience of Consciousness, 2017(1). https://doi.org/10.1093/nc/nix007
[7] Harada, C. N., Natelson Love, M. C., & Triebel, K. L. (2013). Normal Cognitive Aging. Clinics in Geriatric Medicine, 29(4), 737–752. https://doi.org/10.1016/j.cger.2013.07.002
[8] Souchay, C., Isingrini, M., & Espagnet, L. (2000). Aging, Episodic Memory Feeling-of-Knowing, and Frontal Functioning. 11.